Dans la continuité de son exclusivité avec
Capcom pour couvrir le remake de
Resident Evil 4,
Game Informer a publié aujourd'hui une interview d'
Hiroshi Tamura et de
Kota Suzuki (qui a notamment composé les OST de
Resident Evil 5,
Onimusha 3 ou encore
Devil May Cry 4).
Interview par Marcus Stewart
La conception sonore est un élément souvent sous-estimé dans les jeux, mais
Capcom la prend très au sérieux dans le remake de
Resident Evil 4. Aussi horrible le jeu puisse-t-il être, c'est la bande-son et les effets sonores effrayants qui font le plus gros du travail pour construire la peur et la tension au sein du jeu.
Pour comprendre comment le remake modifie et amplifie le paysage sonore, je me suis entretenu avec le concepteur sonore de
Resident Evil 4,
Hiroshi Tamura, et le compositeur en chef,
Kota Suzuki, pour découvrir comment ils ont rendu le jeu aussi bon à entendre qu'à jouer.
Game Informer :
L'un des objectifs pour ce remake de
Resident Evil 4 est de créer un paysage sonore plus réaliste. Pouvez-vous expliquer ce que ça signifie, avec des exemples, et pourquoi c'est un élement important pour l'équipe ?
Hiroshi Tamura :
Pour le remake, nous voulions accorder une attention particulière au son tout au long du jeu. Faire coexister qualité et réalisme a fait l'objet de beaucoup d'efforts.
Laissez-moi expliquer un peu plus en détails ce que cela signifie.
Resident Evil 4, l'original, a été joué et apprécié par de nombreux joueurs. De notre côté, nous nous devions de savoir cela, et traiter la bande sonore de
Resident Evil 4 avec le respect attendu par les fans. De plus, nous sortons le remake en 2023 en utilisant les dernières technologies. Trouver un équilibre entre ces deux aspects pour créer le son de
Resident Evil 4 était une tâche difficile, mais c'est le but que l'équipe en charge du son s'est fixé lorsque nous avons réalisé le son pour ce jeu.
Pour développer davantage, produire des sons réalistes tels que nous en trouvons souvent dans les jeux modernes, ce n'est pas une tâche difficile pour notre équipe son chez
Capcom, c'est dans nos cordes. Mais en produisant des sons trop réalistes, nous aurions perdu l'essence de
Resident Evil 4. Nous avons donc travaillé en collaboration avec le producteur et le directeur du jeu afin de voir jusqu'où nous pouvions aller dans le changement.
Game Informer :
Pouvez-vous me donner un exemple de son dont le rendu devait être hyper réaliste ?
Hiroshi Tamura :
Un exemple facile serait celui des sons environnementaux qui aident à construire le décor. Nous avons été très attentifs à cela. Ils sont constitués de bruits "extérieurs" et de bruits "intérieurs", qui, ensemble, forment une tonalité de base pour un espace ou une pièce. Dans le remake, tout ceci a été réalisé en s'appuyant sur les techniques ambisoniques. Peu importe pour quelle zone, ceci est la base. Il y a aussi ce que nous appelons les tonalités aléatoires. Ce sont des sons uniques que nous avons programmés pour une pièce spécifique, comme des sons de claquements ou de craquements dans une maison, des gémissements d'animaux, ou encore des cailloux qui tombent.
Il y a aussi le bruit du vent. Si vous êtes à l'intérieur d'une pièce, vous allez entendre le son du vent plus fort si vous vous rapprochez d'une fenêtre ou d'une porte. Et si vous êtes dehors, la vitesse et la direction du vent sont calculés en temps réel par le processeur graphique. Cela produit un son réaliste pour le vent, qui correspond à ce que vous voyez à l'écran, créant une sensation d'immersion. Un autre exemple : disons qu'il y a de l'herbe sur le sol, que les arbres se balancent et qu'on entend le bruissement de leurs feuilles. Le degré d'intensité du mouvement, le niveau sonore, la vitesse et la direction du vent sont synchrones, ce qui accentue l'expérience.
En plus de cela, il y a les sons environnementaux pour les choses immobiles ou sur lesquelles on veut mettre l'accent. Et les sons en rapport avec le temps, comme la pluie qui tombe. Nous utilisons ces 5 couches pour créer le son global de chaque espace, qui imite la construction des sons environnementaux du monde réel afin de produire un haut niveau de réalisme. Là-dedans, il y a aussi les bruits relatifs aux personnages, un bon exemple serait les coups de feu.
Pour le bruit d'un coup de feu, plus vous vous rapprochez du vrai son d'un tir avec une arme à feu, moins cela rend bien dans un jeu. Le vrai bruit d'un coup de feu est assez froid et mécanique, donc ça ne rend pas bien si on l'utilise tel quel. Il nous faut donc trouver un équilibre entre le son de l'environnement et les sons de l'action, et ce contraste permet une meilleure expérience globale.
Game Informer :
En ce qui concerne la musique, pouvez-vous nous parlez du défi que cela représente de travailler à partir d'une bande-son existante ?
Kota Suzuki :
Comme l'a dit
Tamura, nous devions respecter l'original tout en créant quelque chose de nouveau pour le remake. Lorsque ce projet a commencé, j'ai d'abord rejoué à l'original afin d'analyser son approche et le pourquoi de cette approche. Je suis fan de
Resident Evil 4 depuis l'original. J'ai beaucoup réfléchi à ce qu'il fallait reprendre de l'existant, et aux éléments nouveaux à ajouter. Par exemple, le thème de la sauvegarde, la musique du marchand, sont des arrangements de la musique d'origine. Je veux que les fans du jeu de 2005 les reconnaissent et soient contents en entendant une musique familière.
En revanche, par exemple, la musique qui joue lorsqu'on combat un Ganado dans le jeu d'origine, utilisait beaucoup de sons de type bruits, ce qui était très novateur pour un jeu d'horreur à l'époque.
Bien que nous ayons conservé cette approche, si nous avions réutilisé les mêmes sons que dans l'original, cela ne serait pas très bien passé à notre époque. À la place, nous avons utilisé des techniques modernes pour exprimer les mêmes nuances. Nous avons beaucoup réfléchi à comment construire une atmosphère de peur. Je pense que la tonalité est incroyablement importante, c'est pourquoi j'y ai consacré beaucoup d'attention en créant la musique.
Game Informer :
Pour les effets sonores des ennemis, est-ce que tout a été entièrement refait ?
Hiroshi Tamura :
Presque tous ont été totalement refaits, oui. Aucun des sons en provenance de l'original n'ont été utilisés tels quels, cependant il y en a qui ont été modifiés et réutilisés dans le remake. Pour les nouveaux sons que nous avons créés, nous n'avons pas juste fait ce que nous voulions. Là encore, nous avons étudié l'original pour s'assurer d'avoir capturé l'essence du son d'origine, et nous l'avons recréé d'une manière qui lui soit fidèle. Pour les sons qui proviennent de l'original, je pense que certains des fans sauront les reconnaître lorsqu'ils les entendront dans le jeu.
Game Informer :
Est-ce qu'il y a un ennemi en particulier dont vous étiez content de refaire les sons ?
Hiroshi Tamura :
Del Lago. Il n'a pas beaucoup de sons, mais il a fallu beaucoup expérimenter pour trouver ce son, comme son cri, et que cela sonne juste. C'est un ennemi que vous combattez sur l'eau, cela nous a demandé beaucoup de travail de créer un son qui donne vie à la créature tout en se démarquant des bruits environnementaux que le joueur entend autour de lui à ce moment.
Game Informer :
Est-ce qu'il y a de nouvelles musiques dans le remake ? Si oui, combien ? Comment avez-vous décidé qu'elles avaient leur place dans la bande originale existante ?
Kota Suzuki :
Nous n'avons utilisé aucune musique de l'original telle quelle. Mais je dirais qu'environ 30% des pistes musicales ont conservé la mélodie de l'original ou sont des arrangements. Les 70% restantes sont nouvelles. Dans celles-ci, certaines sont des musiques créées à partir du concept d'origine. Pour la musique du Ganado dont j'ai parlé tout à l'heure, elle utilisait beaucoup de sons de type bruit, mais on peut aussi trouver dans une autre piste un rythme irrégulier ou un son effrayant qui ressemblerait presque à une voix.
Pour d'autres pistes, nous avons adopté une approche différente. Par exemple, peut-être qu'une piste de l'original dégageait une forte sensation d'horreur et à la place, nous sommes allés dans une direction plus dramatique pour le remake. Je pense que vous trouverez que la musique du remake est très variée.
Game Informer :
Comment avez-vous créé le son d'un Plaga qui explose en sortant de la nuque d'un Ganado ? Quelle est la méthode la plus originale que vous avez utilisée pour réaliser un effet sonore ?
Hiroshi Tamura :
Nous avons accordé beaucoup d'attention à la sensation, à l'impact de ce son-là. Si vous êtes cerné par les ennemis, et que vous commencez à entendre ce son, alors vous êtes probablement dans un danger certain. Le jeu doit savoir communiquer le danger au joueur de façon adéquate. Mais en même temps, il y a beaucoup d'autres sons qui doivent être entendus, et ils sont également très importants. Nous avons donc dû trouver comment donner cette information au joueur au milieu de tous les autres sons. Pour y parvenir, nous nous sommes évertués à rendre le son facilement identifiable par le joueur tout en lui donnant l'impact nécessaire.
Nous avons utilisé beaucoup de matériaux de base différents pour réaliser les sons qu'on entend dans le jeu. Il y a beaucoup de choses dont je ne peux pas parler actuellement, mais nous avons collaboré avec d'autres entreprises et nous nous sommes rendus dans différents endroits pour capturer des sons.
Game Informer :
Quels instruments ou thèmes particuliers ont été utilisés pendant la composition de la musique ?
Kota Suzuki :
Il n'y a pas de thème principal pour le jeu. Mais pour aider à construire une atmosphère effrayante, nous nous sommes décidés sur différentes tonalités. Par exemple, pour chaque zone du jeu, comme le village au début. Pour le village, quand j'ai commencé à composer la musique, j'utilisais une approche hybride, avec des synthétiseurs modernes. Mais le directeur m'a dit que c'était trop moderne et m'a demandé d'essayer de recréer la sensation d'un vieux village tout en s'alignant sur les tendances contemporaines. Au studio
Capcom, nous avons donc joué de la guitare avec un archet de violon, ou encore, nous nous sommes fait livrer un piano qui ne fonctionnait plus, nous avons utilisé des clous pour en faire un "piano préparé" et nous avons joué avec ça. Nous avons traité des sons de grattements de pierres, aussi, et nous les avons utilisés dans la bande son du jeu. Nous avons fait beaucoup d'enregistrements de ce type. L'ensemble de ces sonorités représente notre façon d'exprimer l'essence de la musique de
Resident Evil 4.
Game Informer :
Comment trouvez-vous que la bande son de
Resident Evil 4 se démarque de celle des autres titres de la série pour construire et maintenir une ambiance troublante et tendue ?
Kota Suzuki :
Les combats contre les ennemis sont très interactifs dans
Resident Evil 4. Dans beaucoup de cas, en fonction du comportement du joueur, il est impossible de prévoir où le joueur va combattre l'ennemi. Dans beaucoup de jeux, cela peut-être linéaire ; vous allez combattre un ennemi à tel endroit, et lorsque vous l'avez battu, vous avancez. Pour
Resident Evil 4, il y a beaucoup de liberté, nous nous sommes donc beaucoup appliqués pour créer un système de musique interactif.
Par exemple, nous avons des définitions pour différents statuts dans le jeu, comme "pas d'ennemis", "l'ennemi est près, mais n'a pas vu le joueur", ou un statut neutre, d'avertissement ou de combat. Puis la musique change en fonction de ce statut. De plus, pour qu'une bataille commence, il ne s'agit pas seulement de repérer un ennemi en face de vous. Le volume du son venant d'un ennemi est aussi détecté, donc si vous pouvez entendre un ennemi près de vous, nous traitons ceci comme un statut de combat au sein du système de musique interactif. S'il y a beaucoup d'ennemis autour de vous, la musique peut être légèrement modifiée, ou le nombre d'instruments utilisés peut augmenter. Je pense que ce fonctionnement permet à la tension de la musique de s'aligner plus que jamais sur les sentiments du joueur.
Game Informer :
Pouvons-nous nous attendre à ce que les pistes audio jouent d'autres tours aux joueurs ? À quel point est-il amusant de jouer avec les joueurs en utilisant le son ?
Hiroshi Tamura :
Même avec la puissance des machines haut de gamme d'aujourd'hui, afin de réduire la charge processeur, il faut désactiver certains objets. Cela consiste à désactiver tous les objets qui sont hors du champ de vision, comme derrière un mur. Cela coupe tous les sons émis par cet objet. C'est un processus nécessaire.
Par exemple, dans le remake, si un Ganado se trouve derrière un mur et que le joueur ne peut ni le voir ni l'atteindre, alors du point de vue graphique, on peut le désactiver, mais nous devons créer un autre objet "son" à sa place. Cet objet-son fait le même bruit que le Ganado alors que celui-ci a été supprimé, mais sa présence demeure via le son.
En faisant cela, on peut insuffler la peur de choses qu'on ne peut pas voir mais qu'on peut entendre, et aussi créer des sons environnementaux, que nous avons tous deux traités avec le plus grand soin.
Aussi, dans le remake, nous utilisons une fonctionnalité qui s'appelle "room portal". Elle permet de décomposer les pièces du jeu en valeurs en fonction des éléments acoustiques, et ajoute ce qu'on appelle un "portail" aux ouvertures, telles que les portes ou les fenêtres pour connecter les pièces entre elles. Nous l'avons utilisée partout dans le jeu. Cela permet à l'occlusion sonore et à la diffraction d'être simulées de façon naturelle.
Ce que cela signifie, hé bien, imaginez que vous vous trouvez dans une petite pièce avec une porte ouverte à faible distance de vous. Si un ennemi se trouvait de l'autre côté du mur de droite et se mettait à crier, une passe directe dans le traitement de ce son viendrait placer sa source à votre droite. Mais il y a un mur entre vous et l'ennemi, vous ne devriez donc pas percevoir le son comme venant de la droite. Dans la réalité, le son devrait avoir l'air de venir de la porte ouverte en face de vous. En utilisant "room portal", il est possible de répliquer ce comportement dans le jeu, et le bruit de l'ennemi semblera venir de la porte.
En utilisant la passe directe, en fonction de l'épaisseur et de la densité du mur, ce que vous pouvez entendre au travers des murs est calibré de façon appropriée dans le jeu.
Game Informer :
Est-ce que "room portal" est spécifique à ce titre, ou a-t-il été utilisé dans d'autres titres de la série ?
Hiroshi Tamura :
Il a été partiellement utilisé dans des titres comme
Resident Evil Village. La façon dont "room portal" est implémenté est similaire à celle d'un
middleware. Nous l'avons ajouté au RE Engine. Cela demande beaucoup de travail manuel pour créer chaque pièce, donc dans les jeux précédents, il avait été utilisé avec parcimonie pour améliorer certains endroits du jeu. Dans ce remake, nous l'avons implémenté de telle sorte à ce que nous puissions l'utiliser partout dans le jeu. D'un point de vue technique, chaque zone du jeu existe comme étant l'une de ces pièces. Si ce n'était pas le cas, on ne pourrait pas jouer de sons.
Game Informer :
En tant que professionnels du son, quels effets sonores iconiques vous viennent en tête ? Quels sont vos préférés ?
Hiroshi Tamura :
Je joue aux jeux vidéos, donc lorsque je pense à des sons, je me retrouve à penser à des jeux.
Battlefield, ou
Call of Duty, ce genre de choses. Ce que j'aime dans les sons, plus particulièrement ceux de
Battlefield, c'est le moteur maison HDR utilisé par DICE ; la plage dynamique est tellement bien utilisée. J'ai assisté à une de leurs conférences à la GDC, et j'ai été impressionné. Pour les bruits de coups de feu, j'aime beaucoup ceux de
The Division d'
Ubisoft. Le système multijoueurs ainsi que la conception sonore sont vraiment très bien réalisés. Les bruits du menu, les bruits des tirs, et l'interactivité de la musique de fond. Dans mes loisirs, ces jeux m'intéressent (rires).
Kota Suzuki :
Il y a beaucoup de musiques que j'aime et que j'écoute. Pour ce qui est de l'inspiration, je dirais que je la puise dans les films et les séries. Récemment, j'ai été impressionné par certaines musiques, enfin, peut-être que ce n'est pas si récent, mais
Tenet et la série
Dark, dont le générique de début est vraiment excellent. Les éléments qui m'ont marqué, les chansons célèbres que j'aime, je les ai découverts il y a longtemps. La musique de Hans Zimmer, ou de
Star Wars par John Williams. Concernant
Star Wars, j'aime tellement l'
Episode 3 !
Game Informer :
Entre les musiques et la conception sonore, quelles sont les émotions que vous cherchez à provoquer chez le joueur ?
Hiroshi Tamura :
Pour les fans qui ont joué au
Resident Evil 4 original, j'espère qu'ils ressentiront un certain réconfort et réaliseront à quel point nous nous sommes appliqués à respecter l'original en créant ce remake. Pour les joueurs qui découvriront
Resident Evil 4 avec le remake, j'espère qu'ils le jugeront du même niveau de qualité que le remake de
Resident Evil 2 et
Resident Evil Village, qui ont été très bien reçus.
Kota Suzuki :
Je partage le même sentiment. Le
Resident Evil 4 original présentait un bon équilibre d'horreur et de drame, et l'ensemble formait une expérience très divertissante. Nous avons recréé cet équilibre tout en faisant évoluer le jeu pour qu'il atteigne le haut niveau des standards modernes. J'espère que les joueurs le ressentiront et que lorsqu'ils finiront le jeu, ils se diront que c'était à la fois effrayant et divertissant.
Source : Game Informer
Traduit par Ada pour Biohazard France